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La petite écurie des Fontanelles
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10 septembre 2008

Je me souviens... (Endurance 160 km de Florac 2000)

160 km de Florac - sept. 2000

Je me souviens que c'était l'objectif de ma saison et enfin un rêve qui allait se concrétiser. Pourtant je venais de rentrer El Qahirah, mais cette-année-là, de janvier à septembre, ma priorité, c'était de t'emmener à Florac. Je ne voulais pas trop te prêter avant. Je n'aime pas prêter les chevaux que je prépare en course. Une course, c'est une histoire que l'on écrit à deux.

Je me souviens que nous avions couru un petit Championnat au mois de juin, c'était pour nous une très bonne préparation. On a eu peur de l'avis du véto mégalo. Thierry, lui , il savait, sans te voir. Thierry disait que tu ne boiterais jamais avant le kilomètre 10000. Pour cette course de Florac, il t'avait fait une ferrure de dingue. Tu avais des petites raquettes à tes pieds. Tu étais paré pour faire le tour, on n'en doutait pas.

Je me souviens des jours précédents. Philippos t'avait emmenée jusqu'à la rocade, puis Bernard nous avait transportées jusqu'aux Cévennes. Là-bas, il y avait ces gens avec qui il fait bon vivre. Je parle de Pilou, Coco et du boulanger. C'est aussi là que nous avons connu Isa. Elle t'avait tressée. Je crois qu'elle était sous ton charme, sans même deviner ce que tu avais dans le sac.

Je me souviens du départ. Il était donné à 4h du matin. Il faisait frais. La journée qui nous attendait, ce n'était pas rien. Le mythe de l'endurance française, voire même européenne. Juste quelques heures de sommeil, mais je ne sentais pas la fatigue. Je savais que nous allions vivre une journée d'exception, et dans ces moments-là, on n'a pas le droit de se sentir fatigué.

Je me souviens de la première étape dans la nuit. Près de 50 km parcourus dans l'obscurité. Environ 150 chevaux autour de nous, et toi, toujours aussi concentrée. Les caillasses sous tes pieds si sûrs, et la facilité avec laquelle tu enjambais les rigoles qui traversaient la piste à intervalles réguliers.

Je me souviens de ma lampe frontale de mauvaise qualité qui faisait semblant de nous éclairer. Aucune importance, tu étais si fiable, même sur un terrain aussi accidenté.

Je me souviens de l'aube lorsque nous avons accompli la première étape. Philippe, Nelly et Jean-Pierre nous attendaient. Nous t'avons dessellée et épongée, vite, très vite, tu avais déjà récupéré et je te conduisais au vet-gate.

Je me souviens de la facilité avec laquelle tu as passé les contrôles vétérinaires. Tu n'as laissé aucun doute. Tout était dans l'ordre des choses.

Je me souviens de ton trot saccadé et déterminé lorsque tu as grimpé le mont Aigoual. La lumière était si bleue et si poudrée là-haut. C'était tout simplement beau, mais nous n'avions pas le temps de nous attarder. Il restait encore près de 100 km à parcourir.

Je me souviens de Meyrueis. J'ai vu beaucoup de chevaux en qui je croyais être éliminés. Nous on continuait l'aventure. Nous avons monté le causse, le soleil tapait fort. Il y avait Sergio Tomasi, figure emblématique de l'endurance équestre italienne. Il était descendu de cheval pour une montée délicate, comme moi. Nous ne l'avons plus quitté. Disons plutôt, il ne nous a plus quittées. Son cheval ne te prenait pas les relais. Il en était désolé. Toi et moi on s'en foutait. On gérait ta course, pas celle des autres.

Je me souviens que tu m'as demandé à souffler un peu avant d'arriver à Nissoulogre. Juste quelques kilomètres dans un petit trot de récupération, et d'un coup tu es repartie, jusqu'au bout. Il y avait ce chemin qui serpentait sur un mur face à nous. J'ai pas eu le temps de douter. Tu as démarré. Il y avait "les autres" en haut. Tu voulais les rattraper. Tu les as rattrapé.

Je me souviens de la descente de Sainte Enimie. Je courais comme un lapin. Tu me suivais en liberté. On était old school et ça fonctionnait bien.

Je me souviens du dernier vet-gate, tellement rapide, avec seulement 10 ou 15 minutes de récupération. Tu es repartie sur les chapeaux de roue. Sergio a eu un peu peur. Il n'avait pas vu tout ce dont tu étais capable. Il voulait qu'on ralentisse, je voulais arriver avant la nuit, avant 20h. Je suis repartie pour la dernière étape sans la lampe frontale. Je refusais l'idée d'arriver de nuit. Tu m'as portée sous l'arche d'arrivée avant la nuit.

Je me souviens de notre arrivée. J'ai voulu donner la main à Sergio, nous avions été compagnons de route durant 80 bornes. Tu n'as pas voulu. C'est toi qui avait assuré tous les relais, tu ne voulais pas être botte à botte avec son cheval. Tu menaçais de taper, et Sergio disait "Mais Lulu, c'est pas possible que tu fasses ça, tu as fait 160 km". Il n'en revenait pas. Moi j'étais désolée de passer la ligne d'arrivée devant lui, mais je respectais ta décision. C'était ta course.

Je me souviens du contrôle final. De l'angoisse de Philippos et de ma confiance. Paradoxal. Le contrôle final n'a été pour toi qu'une formalité.

Je me souviens combien j'étais fière de montrer à tous que mon petit cheval était capable du meilleur et du meilleur encore. Je me foutais des mauvaises langues, des idiots qui avaient perdu leur pari quant à ta capacité. Cette course-là, statistiquement, seul 1 cheval sur 4 la termine. Je n'ai jamais douté de quel lot tu ferais partie.

Je me souviens de la remise des prix, sans toi. Nous avions eu quelques soucis de logistique. Et puis tout le monde roulait au rouge. Les camionneurs faisaient le blocus. Pourtant, à Florac, cette année-là, tous les 4x4 et autres véhicules d'assistance étaient présents. Ces gens-là avaient la même priorité que nous : courir Florac !

Je me souviens que nous avons un peu tardé avant de te récupérer. Tu me manquais à en crever. Et déjà, je ne pensais qu'à une chose, c'est que nous allions courir les 2x100 km de Montcuq l'année suivante.

 

 

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Sources :

Une histoire vécue par Sophie et Ulla en septembre 2000.


Crédits photographiques :

Photos d'Ulla et Sophie (2 et 3) : Philippos.

Première photo et pour plus d'informations : www.terre-equestre.com/160kmdeflorac

 


 

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Commentaires
G
Les mots me manquent ... Je retrouve une belle complicité entre deux êtres qui donnent le meilleur d'eux-même, sans compter<br /> <br /> Ulla vit et revit sous ta plume<br /> Un bel hommage que tu rends à celle qui fut l'amie dont on rêve, celle qu'on a eu et qui n'est plus<br /> La course n'est jamais finie ... Si tu lèves la tête ...
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S
Ce post n'est que l'inauguration d'une série, sous la catégorie Old School Memories.<br /> Il y aura d'autres belles courses à suivre. Elle rendait la moindre course merveilleuse, et donc, par extension, les courses mythiques féériques !
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H
Que tu écris bien ma nièce.<br /> J'ai une Ulla cascadeuse de nuages qui peuple mon ciel de froid soleil de cette fin d'été.<br /> Quelle magnifique évocation et quelle chance ont ceux qui savent se forger de si beaux souvenirs, ceux qui rendent le passé et les passés actuels et vivants.
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S
Merci ma grande. Ulla était une toute petite GRANDE jument, avec un coeur d'exception, dans tous les sens du terme.<br /> Je suis très contente que tu aies bouclé cette sacrée grande boucle, tu le mérites bien plus que beaucoup !
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M
Vraiment très émouvant ce résumé une nouvelle fois. Un superbe épopée que je comprend tout à fait maintenant que je peux dire l'avoir vécu également ...<br /> Une sacrée grande et brave jument cette petite Ulla, elle peut être fière de toutes ces performances que seuls quelques bons chevaux sont capables de fournir ... Elle a su en faire parti et faire taire beaucoup de langues et je trouve que c'est la plus belle des réussites... faire ses petites affaires et faire un pied de nez à tous les jaloux ou moqueurs qui s'arrète à certains stéréotypes.<br /> Bravo petite Ulla et reposes toi bien dorénavant...<br /> Gros bisouxxxx à toi Sophie et plein de courage... !
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